Entretien avec Edouard Civel
Un nouveau regard sur l'impact de la rénovation énergétique sur la consommation d'énergie d'un logement
Les certificats d’économies d’énergie (CEE) sont un mécanisme mis en place par les pouvoirs publics en 2006, qui permet à des particuliers, des entreprises ou des collectivités de bénéficier d’un soutien financier s’ils s’engagent dans la réduction de leurs consommations d’énergie, par exemple s’ils font réaliser des travaux de rénovation.
Edouard Civel est membre de la Chaire Economie du Climat et a participé à une étude universitaire, "Climat et Débat - Effet de la Rénovation énergétique sur la consommation d'énergie", parue à la fin de l'année 2024. Il nous raconte dans l'interview ci-dessous.
Pourriez-vous nous en dire plus sur la genèse de l’étude, pourquoi vous être penché sur cette question ?
L'efficacité énergétique dans le secteur résidentiel est un enjeu clé pour atteindre nos objectifs climatiques, notamment parce que le bâtiment représente 16 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Pourtant, le lien entre rénovation énergétique et baisse effective de la consommation reste sujet à débat. D'un côté, les estimations théoriques basées sur les modèles thermiques suggèrent un potentiel d’économies d’énergie important. De l’autre, plusieurs études empiriques montrent des écarts parfois significatifs entre ces prévisions et les économies réellement observées.
Avec Marc Baudry et Anna Creti nous avons voulu apporter un regard neuf en combinant deux approches : une méta-analyse de la littérature académique existante sur les effets des rénovations énergétiques et étude empirique basée sur 130 000 logements en France, analysant les déterminants de leur consommation d’énergie. L’objectif était de mieux comprendre le rôle de la performance énergétique des logements et celui des autres facteurs socio-économiques dans la consommation d’énergie effective des ménages.
“Méta-analyse”, “approche économétrique”… pourriez-vous nous expliquer votre démarche, version “pour les Nuls” svp ?
Une méta-analyse, c’est un peu comme un sondage géant sur de nombreuses études scientifiques. Au lieu d’analyser un seul jeu de données, on regroupe et synthétise les résultats de plusieurs travaux pour obtenir une vision plus robuste de l’effet d’une politique ou d’une intervention. Cela permet notamment de lisser les biais éventuels et de mieux cerner les tendances générales.
En ce qui concerne l’étude dite « économétrique », nous nous sommes penchés sur les consommations réelles d’un large échantillon de logements individuels en France. L’idée est d’identifier statistiquement les principaux facteurs qui influencent la consommation d’énergie. Par exemple, comment le prix de l’énergie, la surface du logement, ou encore le revenu des ménages modulent les effets de la performance énergétique. En modélisant ces interactions, nous pouvons mieux comprendre pourquoi certaines rénovations engendrent des économies importantes, tandis que d’autres n’ont qu’un impact limité.
L’étude démontre que les rénovations énergétiques engendrent bien une réduction de la consommation des ménages, ouf !
Mais vous parlez d’une évolution en « S » de la consommation réelle moyenne par rapport au DPE, qu’est-ce que cela signifie ?
L'évolution en "S" signifie que la consommation réelle d’énergie ne diminue pas de manière linéaire lorsque l’on améliore la performance énergétique d’un logement. On observe trois phases, en partant des logements très performants pour aller vers les passoires énergétiques :
Les logements très performants consomment en moyenne un peu plus que ce qui est prédit par un modèle thermique.Ensuite, lorsque la performance se dégrade, on observe que la consommation se rapproche de la prédiction et augmente fortement.
Mais pour les maisons les moins performantes, on constate une saturation de la consommation d’énergie. Ce plafonnement peut s’expliquer par des contraintes budgétaires qui limitent la capacité des ménages à se chauffer à une température décente dans des logements très mal isolés.
Si l’on prend le raisonnement dans l’autre sens, en partant d’une maison très inefficace, les premiers gains de performance vont se traduire par un « rattrapage » sur la température de consigne, et donc par une consommation d’énergie équivalente mais un meilleur confort. En revanche les rénovations ambitieuses, elles, permettront, en plus du rattrapage de confort, une diminution nette de la consommation des logements.
Votre seconde approche s’est penchée sur 130 000 logements et vise à préciser l’influence de leur besoin en énergie finale (DPE calculé avec la méthode “3-CL”), de leur surface, de la rigueur du climat où ils sont situés, du prix de l’énergie (selon les sources d’énergies utilisées dans le foyer) et du revenu médian des ménages de leur commune, sur leur consommation réelle d’énergie.
Pourquoi avoir sélectionné ces variables ? Qu’apprend-on ainsi ?
Nous avons sélectionné ces variables car elles influencent directement la consommation énergétique d’un logement :
- Le besoin en énergie finale (DPE 3-CL) : Il représente l’évaluation théorique de la consommation énergétique d’un logement pour maintenir une température de confort de 19°C. C’est la mesure de la performance intrinsèque du logement.
- La surface du logement : Un logement plus grand consomme plus, mais pas de façon moins que proportionnelle (par une rationalisation des espaces chauffés probablement).
- La rigueur du climat : Un climat froid entraîne logiquement des besoins de chauffage plus élevés.
- Le prix de l’énergie : Une hausse des prix incite les ménages à réduire leur consommation.
- Le revenu médian : Toutes choses égales par ailleurs, les ménages plus aisés consomment plus d’énergie, car la contrainte budgétaire est moins forte pour eux et ils peuvent se permettre d’atteindre un confort thermique plus élevé.
Les résultats montrent que l’amélioration de la performance énergétique a bien un effet sur la consommation réelle, mais qu’il est modéré par plusieurs facteurs : le rattrapage de confort, l’impact des prix de l’énergie et le niveau de revenu. Ces interactions expliquent en partie pourquoi les économies d’énergie ne sont pas toujours aussi importantes qu’attendu.
Quelle est la différence entre un effet de rattrapage et un effet rebond ? Ne peut-on pas dire que l’un est une sous-catégorie de l’autre ?
L'effet de rattrapage concerne principalement les logements très énergivores. Avant la rénovation, les ménages y vivent souvent en sous-chauffant leur logement pour limiter leur facture. Après rénovation, ils augmentent leur confort thermique (chauffent davantage), ce qui limite les économies d’énergie constatées.
L'effet rebond, lui, désigne un phénomène plus général : après une amélioration d’efficacité énergétique, les économies d’énergie attendues sont en partie annulées car les ménages augmentent leur consommation. Par exemple, une famille qui installe un chauffage plus performant peut être tentée de chauffer davantage, ou d’utiliser d’autres appareils énergivores.
On pourrait voir le rattrapage comme une forme spécifique d’effet rebond, qui se produit surtout pour les passoires énergétiques. Mais l’effet rebond peut aussi concerner des logements bien isolés où les occupants adoptent de nouveaux comportements énergivores.
Vous reste-t-il une question irrésolue suite à votre étude ? une problématique qu’elle a soulevée et qui mériterait d’être creusée dans des publications ultérieures ?
Oui, plusieurs questions restent ouvertes. D’abord, nous avons mis en évidence un possible effet rebond pour les logements très performants, mais des données plus fines sont nécessaires pour le quantifier précisément.
Ensuite, un autre enjeu clé concerne la qualité des rénovations. Aujourd’hui, les aides publiques encouragent la rénovation, mais la fiabilité des performances annoncées n’est pas toujours garantie. Comment mieux certifier la qualité des travaux ? Comment éviter que des ménages investissent dans des rénovations peu efficaces ?
Enfin, il serait intéressant d’étudier plus en détail les différences de comportement entre ménages. Nos résultats montrent que les ménages à faibles revenus ont tendance à convertir les gains en confort plutôt qu’en économie d’énergie. Comment mieux cibler les politiques publiques pour concilier efficacité énergétique et lutte contre la précarité énergétique ? Ce sont des pistes à approfondir dans de futures recherches, par exemple à travers l’exploitation de jeux de données avant/après sur des programmes de rénovation énergétique.
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous répondre.